Chapitre 16 : « Vous n’auriez pas la monnaie ? »

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Qui ne s’est jamais retrouvé dans cette situation bien française de chercher sa petite monnaie à la boulangerie à midi moins le quart, la baguette toute farineuse sous le bras et le petit porte-monnaie coincé dans une main pendant que l’autre brassait le lot de ferraille qu’il contenait. La file d’attente s’agrandit, la boulangère vous a posé cette question glaçante, votre billet de dix euros à la main « Vous n’auriez pas la monnaie » ?

Dans cette longue recherche, le visage pâle et le regard perdu, vous annonciez votre défaite « Hélas chère madame …. Mais j’ai ma carte bleue si vous voulez ? ». Quoi ? Une carte bleue à la boulangerie, pour une baguette à 1,05 €, faut pas pousser quand même !!! Combien de kilos de pièces de monnaie les petits commerces français brassent par jour ? À la fin du mois, on doit compter en tonnes ! En Norvège, tout ça n’existe pas. Oui c’est reglé, il n’y a pas de boulangerie ! « Si, quand je suis allé à Oslo en 96, il y avait une petite boulangerie au Majorstuen* » vous allez me dire. Certes, à Oslo, sans doute à Bergen, Stavanger, Trondheim et d’autres villes, des boulangeries se sont installées par-ci par-là mais les norvégiens achètent le pain dans les nombreux supermarchés et épiceries qui peuplent le pays, Rema, Kiwi, Coop, Rimi, Joker, Meny …

Dans toutes ces enseignes, un rayon de pain est mis à disposition. Ne vous imaginez pas pouvoir acheter des bonnes baguettes, il ne faut pas rêver, ce sont des pains de mie, de différentes qualités, prêts à être trancher. Pour ce qui est du porte-feuille, les norvégiens l’ont léger. L’esprit aussi ! Une carte bleue dans la poche et l’affaire est jouée ! Un petit achat, je vais à l’épicerie du coin acheter une barquette de beurre pour mon petit-déj’ de demain et je donne ma carte bleue pour payer les 19 couronnes nécessaires (soit moins de 2€). Aucune surprise de la part du vendeur et des gens autour.  

-Kvittering ? -Nei, takk ! (-Un reçu ? -Non, merci !). Imaginez, un ticket à chaque achat, si on ne paye qu’en carte bleue. Le portefeuille devient vite un classeur d’archives. Qu’une carte bleue dans la poche mais … où sont les papiers ? Beaucoup de norvégien demandent une carte d’identité au verso à leur carte de crédit. La banque appose une photo du propriétaire, nom, prénom et le sésame norvégien, le Fødselsnummer. Un code qui pourrait s’apparenter à notre code de sécu mais qui est bien plus nécessaire ici.

Tout ça sur la carte de crédit, ça ne constitue pas un document totalement officiel mais ça joue une preuve d’identité recevable. Dans un café, alors que j’avais commandé une kanelbolle**, l’effroi de ne pas avoir assez de monnaie pour payer m’avait envahi quand, dans ma tête de français je pensais, ils ne peuvent pas accepter la carte bleue pour moins de 5€. « Pas de soucis » m’avait répondu le serveur, pris d’un étonnement indissimulable. « Paiement effectué » inscrivait le terminal de paiement, je venais de payer 39 kr en carte bleue, pensais-je en refermant la fermeture éclair de mon porte-monnaie… que je n’ai pas rouvert depuis d’ailleurs car depuis ce jour de novembre, je suis devenu norvégien, je paye absolument tout en carte, au point d’en oublier la couleur des billets norvégiens, sauf le billet de 50 kr vert à l’effigie de l’écrivain Asbjørnsen, qui reste seul et oublié, dans mon porte-feuille.

« C’est déjà bien ennuyeux de ne pas avoir d’argent; s’il fallait encore se priver! »
#Paul Morand

*Majorstuen est une grande rue de l’ouest d’Oslo, très commerçante et riche de petites échopes raffinées où l’on trouve les meilleurs « delikatess » dixit les norvégiens.
**Les kanelboller (kanelbolle au singulier) sont des brioches, plus suédoises à l’origine mais très consommées en Scandinavie dans les cafés, les supermarchés et bien-sûr les petits kiosques 7-eleven, Narvesen …

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Lucas

Troll des montagnes à l'esprit vif et au regard aguerri.

Une pensée sur “Chapitre 16 : « Vous n’auriez pas la monnaie ? »

  • 22 avril 2015 à 12 h 03 min
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    Encore un bon article, bien rédigé, intéressant et étonnant pour nos habitudes de Français.
    J’avais remarqué ça à Tromso, pas dans une boulangerie mais, dans les bars (évidemment !!!).
    On n’est pas servi à table, chacun va chercher sa conso au bar et paye à chaque fois avec sa carte bancaire. Les étrangers (nous étions dans un festival de théâtre international) payent en liquide ; les frais sur les CB sont assez élevés. Les Norvégiens ont une bonne contenance, mais ils gagnent du temps à chaque demi et sont plus vite dans l’ambiance…

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