Chapitre 26 : Mon soleil, ma montagne

Au loin, mon réveil sonne, un coup de patte violent contre sa carlingue en plastique pour essayer de l’assommer, lui et son bruit lugubre. Mais enfin quelle heure est-il ? Bientôt 7 heures. On est Lundi, c’est parti pour une nouvelle semaine. Un pied au sol, puis un autre. La position de mon lit dans ma chambre m’oblige à me lever toujours du pied droit ce qui assure une bonne journée à moi et à mon entourage. Sans allumer la lumière, je me dirige vers la fenêtre et tire le store sans que cette action ne laisse rentrer plus de luminosité dans la pièce. Même en dessous du cercle polaire, l’hiver est sombre. J’ai, à ce moment une pensée pour les habitants du nord de la Norvège ou de l’archipel polaire du Svalbard qui n’ont plus de soleil depuis fin octobre et qui le salueront à nouveau seulement mi-février.

Hiver-6Ce n’est que vers 8h30 que les premières couleurs apparaissent dans le ciel, si celui-ci est dégagé. Du rose, puis du orange, ça devient bleu tout doucement, la neige au sol devient de plus en plus blanche comme si quelqu’un allumait petit à petit. C’est l’aube, il fait bleu ! Dehors pas un souffle, pas un bruit, le froid emprisonne tout sur son passage. Le drapeau est comme momifié autour de son mât. Le rouge ne se distingue même plus, désormais, dans cette nature, c’est le blanc qui domine et règne en maître. Le silence est incroyable. Rien ne bouge. Le thermomètre affiche -24°C c’est l’hiver, le vrai. 

Hiver-5Aux premiers rayons du soleil, les sommets des collines s’habillent d’orange, illuminant les parcelles enneigées et les fermes isolées. Les chanceux, ils ont le soleil, ce soleil si rare en cette période de l’année qui n’arrose que quelques coteaux de montagnes correctement orientées. Ceux qui tournent le dos au sud doivent attendre plusieurs semaines encore avant de savourer l’instant. 

« Tu habites où ? » me demande-t-on souvent. Lorsqu’une fois, j’étais invité sur l’autre versant de la vallée, je montrais régulièrement la montagne d’en face en guise de réponse. « Ah, le côté sombre ? ». Oui si on veut, j’habite le côté sombre, celui qui contrairement au leur n’obtient pas beaucoup, voir pas du tout de soleil en hiver. « Mais j’habite presque au sommet, donc ce n’est pas si sombre que ça » me défendais-je à chaque fois. En effet, le « presque » fait toute la différence.

Hiver-3Ce sommet que je vois depuis ma fenêtre, cache les quelques rares rayons du soleil de la semaine du solstice. Ce sommet, je le connais, je le gravis tous les midis, pas besoin de corde ni de crampons, une bonne paire de chaussures suffit. Quelques centaines de mètres d’un bon pas et le soleil se fait voir, rasant la cime des arbres à l’horizon, déjà prêt à disparaître. Fermer les yeux, se tourner vers lui et sentir les rayons pénétrer les pores de la peaux. 

Les journées sombres sans soleil agissent très fortement et dangereusement sur le moral sans s’en rendre compte. On devient fatigué, le corps ne suit plus toujours le rythme des journées de vingt-quatre heures et préfère nous faire comprendre qu’il vaut mieux aller se coucher à cinq heures de l’après-midi. 

Hiver-2Surtout, il ne faut pas laisser venir l’ennui, il faut s’occuper, avoir mille choses à faire, pouvoir passer d’une occupation à une autre rapidement. Si on a fini quelque chose de fatigant, ne pas s’allonger sur le canapé dans une pièce sombre. Lire un livre avec une lumière blanche est préférable. Se tenir en activité pour qu’à six heures du soir, lorsque une petite voix dans notre tête dit, « il est peut-être tard maintenant, il fait nuit depuis plusieurs heures » et qu’on puisse réagir, « non non, il est encore tôt j’ai plusieurs choses à faire ».

Hiver-1Pour un Français comme moi, le repas norvégien qui se prend un fin d’après midi est tellement tôt que ça en est choquant, sauf en hiver où manger à quatre heures de l’après-midi ne bouscule en rien nos habitudes puisqu’il fait nuit. La seule particularité est qu’en France, après le repas, la journée est finie, alors qu’en Norvège on profite du début de soirée pour faire une activité sportive par exemple. Prendre ses skis et se balader dans la neige au clair de lune. Être tellement chanceux jusqu’à voir une aurore boréale se dessiner au dessus de sa tête.

Hiver-7Toute cette énergie dépensée pour se tenir en forme dans ce Mørketid (la période sombre, telle que les norvégiens l’appellent) nous use et nous rend impatient de pouvoir obtenir quelques rayons de soleil de plus en plus nombreux de jours en jours après le solstice. Les habitants des comtés du nord de la Norvège ont accès à des pilules de vitamines D en pharmacie pour compenser le manque de lumière. Certains se fournissent en lampe qui produisent les bienfaits du soleil, mais il ne faut pas se leurrer, ça reste artificiel. Le seul, le vrai, l’unique c’est notre soleil que l’on attend avec impatience.

Cet instant si magique quand les premiers rayons du soleil pénètrent les fenêtres et arrosent l’intérieur de la maison. C’est aussi à cet instant qu’on se rend compte de la poussière qui s’est accumulée durant l’hiver et qu’on ne voit pas avec la lumière artificielle. Finalement … C’est pas mal quand il fait sombre.

« Le soleil est nouveau tous les jours »
#Héraclite

Lucas

Troll des montagnes à l'esprit vif et au regard aguerri.

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