Chapitre 28 : Retour au collège !

Au mois de septembre, en commençant ma deuxième année au pair, je commençais à être connu dans la vallée et une personne m’a demandé si j’étais bien français. « Je pense toujours l’être », avais-je répondu le sourire aux lèvres. « Pourquoi cette question ? »

Cette interrogation fut expliquée par le fait que la famille dans laquelle j’habite est norvégo-néerlandaise et comme ils ont longtemps habité aux Pays-Bas, beaucoup dans le village, là où les nouvelles vont vite, ils pensent que je suis également néerlandais. Certains s’en sont souciés dès mon arrivée d’autres ont attendu un sacré bout de temps avant de demander.

« Demande au Français ! ». Un jour, je croise une maman d’élève qui me dit qu’une famille cherche un prof de français pour leur fille. « Tu es bien Français ? », avait-elle dit au milieu de sa phrase. Une vérification est toujours bonne à prendre. Prenant cette demande très à coeur, j’ai pris contact avec la famille qui cherchait un professeur. Le plus honnêtement possible, je leur ai dit « je ne suis pas prof, mais je suis français et je pense pouvoir vous aider ». Après m’être assuré que ce soit bien leur fille qui voulait apprendre cette nouvelle langue et non les parents qui la poussaient vers une voie qui ne l’intéresse pas, je me suis improvisé professeur à domicile de ma langue maternelle.

Cette jeune fille de 10 ans est à l’école primaire et s’ennuie fermement. Elle est douée et voulait apprendre une nouvelle langue et particulièrement intéressée par la langue de Molière. C’est alors avec fierté qu’une fois par semaine nous lisons ensemble les pages du manuel de français « C’est chouette ! »

Un jour, ma voisine me dit que sa fille, au collège, assiste à des cours de français. Première nouvelle, il y a des cours de français au collège de Roa ? Il y a un prof de français ? Ma voisine n’a pas répondu à cette question et s’est contentée de faire une petite bouche pincée. « Quoi qu’il en soit, reprit-elle, elle a un oral dans deux jours et aimerait bien de l’aide ». C’est toujours bien de s’y prendre à l’avance !

Ayant fait mon possible pour pouvoir aider la fille de ma voisine dans l’apprentissage courageux de ma langue maternelle, je me suis libéré la veille de son oral. Sujet : « raconter le voyage chez les correspondants à Nice ». Parce qu’en plus d’avoir des cours de français vous avez des correspondants français ? Et ils vont venir en Norvège ? A Roa ? … Les pauvres !

« Ils faut aussi préparer des réponses à ces questions » me dit-elle en me tendant une feuille. « Je vais te corriger les questions d’abord » avais-je répondu en m’armant de mon stylo vert. « Non ça c’est le prof qui a écrit ! ».

Pardon ? « Tu a » mais « il as ». « Un valise » mais « une sac ». C’est pas possible ça ! Après notre petit cours improvisé, je demande aux parents, qui est ce prétendu prof de français… C’est déjà suffisamment difficile d’apprendre cette langue, mais si en plus c’est appris faux !… « Voila son numéro de téléphone si tu veux » me dit la mère de l’élève.

IMG_3313.JPGJ’ai tout de suite contacté ce prof pour lui proposer mon aide. Je n’ai bien sûr pas mentionné tout de suite les fautes qu’il avait faites sur le polycopié. Nous nous sommes entendus pour se rencontrer au collège un jour où il avait cours avec les dixièmes. L’équivalent des troisièmes en France.

Je n’avais pas mis les pieds dans une école depuis mon bac, il s’agissait là d’un grand moment. « Bonjour Lucas, ça va ?» cria un homme en français depuis le bout du couloir. Les gens autour nous regardaient intrigués. « Je m’appelle Pål » (à prononcer exactement comme Paul).

Nous avons parlé une bonne demi-heure je lui ai montré ses erreurs, il m’a dit « je comprends ». Lorsqu’il me parlait je croyais reconnaître un léger accent belge, n’était ce qu’une impression ? En Norvège, la plupart des profs n’enseignent pas uniquement une seule matière. Ce prof en l’occurrence est devenu prof de français en plus du norvégien, de l’anglais, des maths et du sport. La précédente professeure de français n’enseignant plus, il fallut trouver quelqu’un d’autre et Pål s’est dévoué et c’est avec le plus grand des efforts qu’il enseigne cette langue difficile.

« J’ai habité deux ans en Belgique pour apprendre le Français, mais ça fait longtemps » mon intuition était donc bonne. Ça fait en effet quelques temps, suffisamment pour oublier certaines formes de conjugaisons et de déclinaisons. Je lui tire quand même mon chapeau car il parle très bien, écrit bien et se donne du mal pour l’enseigner à des élèves pas toujours très motivés.

« Viens, je vais te présenter aux professeurs ». Me voilà face à l’assemblée du personnel enseignant du collège. Pål me souffle à l’oreille « fais le en français » je me présente donc dans ma langue maternelle à une audience qui n’a pas une seule idée de ce que je raconte. Je finis par un « voilà » glorieux et malicieux. Tous les profs rigolent ne sachant encore pas que je parle leur langue. « Mais il parle aussi norvégien » dit Pål. Deuxième acte, je récite ma présentation précédente dans un norvégien que j’essaye le plus parfait possible. La principale du collège est même venue me serrer la main pour me remercier de mon aide.

Désormais j’aide le professeur en classe plusieurs fois par semaine avec l’équivalent des quatrièmes et des troisièmes. Je me suis présenté de la même manière aux élèves en débitant mon curriculum vitae et en obtenant de l’assemblée des têtes avec des grands yeux ronds et des bouches entre-ouvertes. « Il s’appelle Lucas et il est français » avait résumé un élève. « Il en a dit un peu plus » avait répondu le prof en rigolant.

Perle : Un jour que j’avais un petit groupe pendant un jeu de rôle, j’indique le mot « livre » au tableau et demande la signification. « La reine des neiges » crie un élève en français. Un peu désemparé, je dis que c’est en effet un livre mais pourquoi ça te fait penser à ça ? 

Elle chante « livré, délivré ». Les élèves avaient regardé le film en classe avant les vacances d’hiver et avaient beaucoup plus apprécié les chansons en français qu’en norvégien malheureusement la signification reste à revoir. Une chanson de Disney peut vite devenir un slogan de La Poste.

« L’enseignement c’est une amitié »
#Jules Michelet

Lucas

Troll des montagnes à l'esprit vif et au regard aguerri.

2 pensées sur “Chapitre 28 : Retour au collège !

  • 28 avril 2016 à 20 h 40 min
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    Qui l’eut cru? C’est le plus beau métier du monde…

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  • 1 mai 2016 à 0 h 13 min
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    Génial !
    Juste retour des choses. Après avoir (sans doute un peu) galéré pour apprendre le norvégien tu te retrouves « on ze top of zi afish » (oui, moi aussi je suis multilingue) ; c’est jouissif, non ?
    Je fais un peu la même chose deux fois par semaine dans un cadre bien différent (la prison) avec des personnes de tous ages, toutes origines, tous niveaux, plus ou moins motivées, avec parfois de vrais problèmes de communication… mais c’est très valorisant !
    Salut cher confrère !

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