Chapitre 25 : Un petit tour à l’ambassade

Dans les beaux quartiers d’Oslo ouest, près de Skillebekk, une rue joliment arborée, serpente entre de magnifiques hôtels particuliers. Sur Drammensveien circule l’authentique tram Osloïte, le trikk en norvégien, qui fait trembler la rue à chaque passage en grinçant d’une mélodie étrangement envoûtante. Dans ces beaux hôtels particuliers, des pays entiers résident. Bienvenue dans la rue des ambassades !

Drammensveien veut tout simplement dire rue de Drammen. Cette rocade pointe vers la ville du même nom du faubourg sud-ouest d’Oslo. Elle mériterait pourtant un autre nom. La rue des ambassades, qu’en pensez-vous ? Proposons notre idée à la mairie d’Oslo. « Sur votre gauche, l’ambassade d’Afrique du Sud, sur votre droite l’ambassade croate à coté de la danoise … ». Autant vous dire que sur cette rue, beaucoup de drapeaux flottent… et pour une fois ce ne sont pas les norvégiens.

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Un petit peu comme autour de l’Étoile à Paris, la rue Drammensveien abrite, une bonne partie des ambassades installées en Norvège, on ne va pas dire qu’elles y sont toutes, ce serait exagéré. L’ambassade américaine prouve l’exception, elle se ravie d’une place de choix à coté du Palais Royal. On ne peut pas la manquer, c’est un énorme bunker sur lequel flotte le drapeau aux cinquante étoiles, entouré par des grilles en acier de plusieurs mètres.

Voyant le premier tour des élections régionales arriver, je me suis demandé quel était ma possibilité en étant « Français établi à l’étranger » tel que l’on me nomme. Je me suis renseigné auprès de l’ambassade sur ce sujet. Ma seule possibilité : voter sur la liste de la commune sur laquelle je suis inscrit. M’étant pourtant inscrit sur les listes consulaires, je ne suis plus sur les listes de ma commune en France. Et bien si, m’a t-on dit ! Pour toutes les élections nationales, c’est au consulat et pour toutes les locales (municipales, régionales … etc) c’est en France dans ma commune de naissance ou de mon dernier domicile. Ça n’est pas pratique, il faut l’avouer. Comment faire si on est pas en France pour ces élections ? Rentrer exprès : l’avion le dimanche matin, on saute dans le premier TGV pour gagner la province, on pose l’enveloppe dans l’urne, une petite griffouille et hop, le chemin dans le sens inverse. Ça fait cher et sportif le droit citoyen !

Il y a mieux : la procuration. Si bien-sûr on a quelqu’un de confiance inscrit sur les mêmes listes électorales que soi. C’est donc pour cette raison que je me suis rendu à l’ambassade vendredi dernier pour faire une procuration à mon cher père le plus rapidement possible. Bon… comment faire ? Le site « Ambafrance – Norvège » stipule clair comme de l’eau de roche, qu’un rendez-vous doit être pris. Je le prends et téléphone au consulat pour demander quel papiers étaient nécessaires lors de ma visite. Sans savoir que c’était fait, l’homme au bout du fil me dit qu’il n’était pas nécessaire de prendre un rendez-vous… allons bon ! 11h20 le vendredi, la date était déjà calée.

Je me prévois une petite journée à Oslo. Si je conduis « le petit » à la garderie, à 8h, je peux facilement prendre le train de 8h35 pour être à 9h30 à Oslo et avoir un petit déj’ en ville tranquillou. Un petit contre-temps, je dépose le gamin un peu plus tard que prévu et quitte la garderie à 8h30… arf, je n’arriverai pas à la gare de Roa à temps. Mais la garderie est plus proche de la gare de Grua que celle de Roa, de plus c’est la gare suivante sur la ligne d’Oslo. Allons-y !

En conduisant je réfléchissais (ça m’arrive), le train met environ 5 minutes pour rejoindre les deux gares, je devrais y arriver. Je me gare devant la gare (c’est marrant ça) et j’aperçois sur le quai, les gens attendant le train, youpi, je sors de ma voiture, le train arrive, je cours sur le quai, mais … Je ne suis pas sur le bon. À Roa il n’y a qu’un seul quai, peu importe la direction le train s’arrête au même endroit. Pas là. Le train s’arrête sur le quai d’en face, mais comment on traverse ? Pas de passage, un grillage entre les deux voies. Je vois un panneau « Voie 2 » avec une flèche indiquant un tunnel sous la voie bien plus loin, le temps de lire le panneau le train part devant moi…

9h35 – Je prends le train suivant.
10h – Je m’aperçois que c’est un train long, un qui s’arrête dans toutes les gares. Je ne serai pas à Oslo avant 10h50. Le temps de prendre le tramway pour l’ambassade ça va être chaud cacao !

AmbFranceOsloIl est 11h20, l’heure de mon rendez-vous, je descends du trikk, le tramway, sur la rue Drammensveien et je dois encore marcher quelques mètres pour trouver l’ambassade … un indice ? C’est une belle maison. Mieux ? Il y a le drapeau français et je sais également que c’est au numéro 69. Quelques pâtés de maisons plus loin, j’aperçois un mât avec un drapeau bleu, blanc, rouge qui reste immobile, enroulé autour du poteau. Je me dirige vers cette belle bâtisse et pousse la porte d’enceinte qui grince comme celle d’un cimetière. En entrant, mes yeux se posent sur la plaque dorée fixée sur la grille qui inscrivait quelque chose qui n’était visiblement pas écrit en Français encore moins dans notre alphabet. Un petit coup de vent mit soudain le drapeau en mouvement sur le toit de la maison et je me rendis compte que j’avais posé un pied en Russie, ou du moins à leur ambassade. Un homme chauve, me dévisageait de l’intérieur de la maison. J’ai reculé, fermé la porte (en grinçant) et vis soudain le drapeau bleu blanc rouge mais avec les couleurs dans le bon sens cette fois-ci, en face de la rue. C’était le numéro 69.

Je rentre dans la propriété, une jeune femme me demande si je parle « la Norvège ». Je réponds poliment en norvégien que oui. J’abrège ses souffrances. Elle m’invite à rentrer après vérification de mon identité. À l’intérieur, en face de la porte d’entrée, sont glorieusement accrochés, le portrait de François Hollande (je l’avais oublié lui) et d’un homme qui est mentionné comme étant l’ambassadeur de France en Norvège.

Les papiers se sont vite faits, « votre rendez-vous n’était pas nécessaire », m’a-t-on répété dix fois. J’ai pourtant précisé que c’était inscrit sur leur site. « Ah la France » m’a-t-on répondu en rigolant. « Vous voulez faire une procuration pour trois ans ? ». Désormais il est possible pour les français établis hors de France de faire une procuration pour 3 ans. Bien pratique, afin d’éviter les aller et retour à l’ambassade surtout pour ceux qui habitent loin d’Oslo. Seul le consulat de Tromsø est habilité à faire les procurations. Si vous habitez à Bergen, que nenni, vous perdez une journée pour venir à Oslo signer un paplart.

Tout est fait, tout est signé. Je peux donc retourner en Norvège. Je ferme la porte du jardin et en mettant un pied sur le trottoir je pense tout fort, « tiens, j’étais en France aujourd’hui ». 

Un ambassadeur est un honnête homme qui a pour mission de mentir pour le bien de son pays
#Henry Wotton – Epigramme

Crédits photos :
« Drammensveien 69 » par Kjetil Ree (Creative common CC-BY-SA 2.0)

Lucas

Troll des montagnes à l'esprit vif et au regard aguerri.

2 pensées sur “Chapitre 25 : Un petit tour à l’ambassade

  • 23 décembre 2015 à 18 h 49 min
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    Moins compliqué qu’en France. 3 ans, c’est bien.
    Gleðileg jól

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  • 24 décembre 2015 à 3 h 01 min
    Permalink

    J’espère surtout que ton père a pris conscience des responsabilités qui pesaient sur ses épaules après un tel voyage. A-t-il bien voté ? alors que tu as failli te faire déchiqueter par un train, te faire manger par des Croates (ces gens-là, tu sais…) et, pire encore, te retrouver en Sibérie, expédié par un bolchévik chauve !
    Mais tu as reconnu le portrait du président.
    Finalement tu n’es pas parti depuis si longtemps.
    Gleðileg jól (j’ai fait un copié/collé – bé ouais)
    Bernard

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