Chapitre 23 : L’honnêteté qui trouble

Il arrive un moment, lorsqu’on est occidental ou bon français comme moi, on se pose des questions sur cette confiance qui règne dans ce pays. On se demande sans cesse « personne n’en abuse ? ». Cette question reste toujours posée et les seules réponses que l’on peut obtenir de la part des Norvégiens sont « oui, sans doute ». N’y a t-il aucune certitude ou veut-on volontairement fermer les yeux sur les premiers qui oseraient abuser cette confiance accordée au premier venu. Au final, on se rend compte que c’est nous, les étrangers qui en sommes les premiers clients.

Voyage-BergenBan-FrontQuand je prends le train en Norvège, je monte dans un train régional qui met exactement 55 minutes, quand ça ne bouchonne pas, pour se rendre à Oslo. Les petites gares campagnardes du réseau de train norvégien n’offrant pas de machines ni de guichets pour obtenir ses billets, l’achat se fait donc dans le train. Espèces ou carte de crédit, tout est le bienvenu. En pays très moderne et connecté, la SNCF norvégienne, appelée ici la NSB, permet d’acheter ses titres de transport sur l’application de son smartphone pour n’avoir qu’à montrer le justificatif dans le train. Pratique !

Quand le train arrive sur le quai, on observe déjà une petite différence entre l’avant … et l’arrière. Le train est tout de rouge vêtu (ils aiment beaucoup cette couleur ici), sauf que les portes d’un wagon sont peintes en orange et portent la marque « UBETJENT » (sans service). Certains les évitent, d’autres y vont volontairement. En s’approchant, on lit en plus petit que ce wagon est sans conducteur. Pardon ? C’est une histoire belge. Les wagons sont tous bien attachés les uns aux autres non à la locomotive et donc au conducteur !?

Mais attention, le conducteur en Norvège n’est pas celui qu’on croit ! Il s’agit de la personne qui s’occupe des contrôles et que l’on appelle tout bonnement en France le « contrôleur » ou le « chef de bord » pour les TGV. Mais donc, si on revient à notre wagon : dans celui-ci, il n’y a pas de contrôleur. « Donc on a pas besoin d’acheter de billets » m’avait répondu le premier français à qui j’ai raconté ça, (ma réaction avait d’ailleurs été la même).  « Non, parce que DES FOIS ils passent » m’avait répondu mon interlocuteur norvégien.

Des fois ? Comme le fait de sauter la barrière dans le métro à Paris, quelle est la probabilité de tomber sur un contrôleur dans un couloir. « Mais alors ? On paye une amande ? Si on est pas dans le bon wagon et qu’on a pas de billets ». La réponse s’entend comme une évidence pour nous, les français. « Non ! Le contrôleur te demande de changer de wagon, de regagner celui approprié et d’acheter un billet » m’avait-on répondu à mon grand étonnement. La vie est belle quand même.

IMG_0456Mais pourquoi proposer un wagon sans contrôle, sans amandes, pour des gens qui pourraient frauder ? Les trains régionaux ont généralement trois wagons, en rajouter un ne fatiguerait pas plus le « conducteur » à poinçonner ? C’est tout simple, rappelez-vous, les gares de campagnes ne possèdent ni guichets, ni machine automatique. Celui qui n’a pas de smarthpone pour acheter son billet ou qui veut tout simplement acheter son billet en liquide doit trouver une solution. C’est là qu’intervient le « conducteur » qui sert aussi de vendeur. Il demande tout simplement où on désire se rendre et où on a pris le train. Le tarif s’évalue au kilomètre (contrairement à la SNCF et ses prix au lasso) et sur la bonne foi du client, là encore.

Après chaque station, le contrôleur passe dans les deux wagons (sans les portes oranges) et demande à voir le titre de transport ou bien à vous le facturer. Ce jour-là, je me rendais à Oslo, j’avais prévu de payer en espèce chose que je fais rarement. Et donc je n’utilise pas suffisamment mes billets. Le conducteur passe, contrôle le couple qui s’était assis sur la même rangée, mais de l’autre côté de l’allée. Dans le dos de l’employé du train, je préparais ma monnaie prêt à lui tendre lorsqu’il se retournerait pour moi. Sauf que ce dernier ne m’a pas vu et est parti plus loin…

Que ferait un norvégien ? Courrait-il après le conducteur pour lui demander loyalement un titre de transport ? Après un « oh bah tant pis » j’ai rangé mes sous et ai profité du voyage gratuit … pour un instant. « Vous allez où ? » Entendis-je tout d’un coup après une bonne vingtaine de minutes à contempler le paysage. « Oslo S » répondis-je. Et vous êtes monté à quelle gare ?… Le fait qu’il m’ait loupé après ma gare d’origine pouvait me laisser la possibilité de dire que j’étais monté plus tard … La dernière station que j’avais entendue me revint en tête et sans même réfléchir j’ai dit « Harestua ». Alors que j’étais monté à « Roa ». Un sentiment de honte m’en envahi. Je suis en Norvège, je vis en norvège. Et c’est à cause de gens comme moi que la confiance n’existe plus. Et tout ça pour économiser … « Ça fera 100 couronnes » dit-il en me tendant un ticket. Donc, tout ça pour économiser 24 couronnes .. soit 2,50 €. J’ai pas eu honte très longtemps et me suis dit pour me rassurer, qu’il aurait dû me voir dès le début. Pénalité de sa part !

Pour l’anecdote. Fier d’avoir un chiffre rond, je tends, fier comme Artaban, mon billet de 100 que j’avais pris à la hâte avant de partir et range mes pièces. Il le prend, l’examine, éclate de rire et me le redonne. « C’est des couronnes danoises ». En essayant de cacher ma gêne et ma frustration de devoir sortir ma carte bleue, je tente une ultime phrase « Le taux est très intéressant vous savez ! ». Je devrais vraiment utiliser ma monnaie plus souvent …

>>À LIRE AUSSI : Chapitre 16 : « Vous n’auriez pas la monnaie ? »

« Il respirait l’honnêteté, mais il avait le souffle court »
#Jules Renard

Lucas

Troll des montagnes à l'esprit vif et au regard aguerri.

4 pensées sur “Chapitre 23 : L’honnêteté qui trouble

  • 21 octobre 2015 à 13 h 08 min
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    Excellent !
    Sais-tu qu’à Vienne (Autriche, oui), il n’y a pas de borne, de tourniquet ou autre système, lorsque tu prends le métro ? Seulement un panneau t’informant que tu dois avoir un titre de transport à partir de cet endroit. Je pensais que l’on serait fréquemment contrôlés… que nenni !
    La vie est quand-même plus agréable dans ces conditions ; si chacun joue le jeux évidemment.
    Tu as dû faire des cauchemars après ta vilaine grivèlerie ! Non ?…

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    • 21 octobre 2015 à 15 h 37 min
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      Berlin, Copenhague, Oslo… également. J’avais été tellement étonné. C’est incroyable.
      Oh oui … que de cauchemars. Des contrôleurs dans mon sommeil 😉

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  • 21 octobre 2015 à 15 h 53 min
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    Décidément, tu ne réussiras pas à te débarrasser de ce billet haha !

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